Depuis la victoire de Donald Trump a
l’élection présidentielle américaine, le 8 novembre 2016, le monde
observe ce changement politique important et chaque pays se pose la
question de ce qui va advenir de ses relations politiques et
commerciales avec les Etats-Unis.
La rhétorique autarcique de campagne
s’est confirmée lors du discours d’’investiture et des premières mesures
économiques prises par l’administration Trump. En particulier la
décision d’interrompre le Transpacific Partnership (TPP) et de
renégocier le North American Free Trade Agreement (NAFTA) ne font que
confirmer le désir du nouveau Président de trancher avec les initiatives
de ses prédécesseurs (en particulier les démocrates), et de privilégier
les négociations bilatérales plutôt que les accords et les
organisations multilatérales (Nations Unies, OTAN..) accusées d’être la
source des maux des laissés pour compte de l’Amérique profonde et d’être
à l’origine de l’exclusion d’une frange de la société américaine du
développement économique.
Au-delà des nominations clairement
inhabituelles, tant par le fait de nommer à la tête de certaines
ministères des responsables qui affichent des positions contraires à la
cause qu’ils sont supposés défendre (Scott Prius a l’Environmental
Protection Agency (EPA), Betsy Devos a l’éducation..) ou par le fait
qu’elles regroupent le plus important taux de milliardaires et de
généraux à la retraite que n’importe quelle administration de l’histoire
américaine, l’administration Trump se distingue par son rejet des
politiques conventionnelles. Certains spécialistes parlent d’un effet
« disruption » qui créerait une onde de choc dans chacune de ces agences
et permettrait des changements assez profonds dans un laps de temps
court. Par exemple, l’une des mesures phares sera que pour chaque
nouvelle règlementation introduite, deux règlementations existantes
devront être retirées. La simplification est de mise ; sur ce point tout
du moins, nous pourrions nous en inspirer en Tunisie.
Mais tout ne peut être simplifié de la
sorte : les grandes causes de ce monde telles que le changement
climatique, les droits de l’homme et les relations internationales
requièrent de la réflexion et du doigté. La politique est pleine de
nuances, d’options et de « tradeoffs ». Il ne s’agit plus uniquement,
comme lors de la campagne présidentielle, de séduire les masses en
jouant sur les émotions et le nationalisme. En politique, les arbitrages
se font rarement entre les bons et les mauvais choix ; le plus souvent,
on doit plutôt s’attacher à limiter les mauvais choix, et la première
des précautions en la matière consiste souvent à ne pas se précipiter.
Rien n’est moins vrai qu’en matière de
décisions relatives à la politique étrangère, ou la position de Trump a
été peu conventionnelle jusqu’a présent (notamment vis-à-vis de la
Russie et la Chine) ; en témoigne en particulier son rappel de
l’ensemble des ambassadeurs américains en poste à travers le monde : car
si la tradition prévoit en effet que tous les ambassadeurs remettent
leur démission au nouveau Président, celle-ci n’est en général acceptée
que pour ceux d’entre eux qui sont des « political appointees » du
président sortant, autrement dit, cette mesure ne devrait pas toucher
les diplomates de carrière et en particulier l’actuel ambassadeur des
Etats-Unis en Tunisie.
S’agissant de la Tunisie, et bien que
tous ces changements n’augurent rien de bon dans l’absolu, ce qui
devrait se passer est le scenario suivant : les relations
Tuniso-américaines se sont considérablement renforcées depuis la
révolution. Le train est en marche tant au niveau de la coopération
sécuritaire, de l’appui économique (éducation, entreprenariat, reformes
économiques..) politique (élections, renforcement de la société civile
et des partis politiques..) que des programmes de coopération et
d’échanges. A court terme, ces programmes devraient continuer sans
changements majeurs, car les fonds qui leur sont dédiés par MEPI, USAID
et l’ambassade ont déjà été alloués. Moins certaine est l’aide du
Millenium Challenge Corporation (MCC), cette institution de
développement qui travaille sur l’infrastructure et les grands projets
et qui a annoncé en décembre dernier l’octroi à la Tunisie d’un compact
de 400 millions de dollars, somme qui reste toujours sujette à
l’approbation du Congrès.
Même à moyen terme (dans les 2 a 4
années à venir), l’exception tunisienne devrait prévaloir en ce qui
concerne la politique américaine vis-à-vis de notre pays, et ce
simplement parce qu’aider la Tunisie s’inscrit dans la stratégie de
lutte contre Daesh à travers une coalition de pays musulmans modérés et
avant-gardistes. Des voix s’élèvent même à Washington pour demander à
l’administration Trump de considérer un accord de libre-échange
bilatéral avec la Tunisie comme gage de partenariat, dans une logique de
deal, ce qui laisse toutefois la question des concessions à fournir par
la Tunisie ouverte. En tout cas, il y a une opportunité pour pérenniser
la relation Tuniso-américaine et démontrer qu’au-delà du clivage
républicain/démocrate, la Tunisie est un pays qui représente une
opportunité pour les Etats Unis (et le monde) d’une transition
démocratique relativement pacifique.
Mais nous ne sommes pas à l’abri de
soubresauts ou de retournements brusques de situation car le nouveau
président des Etats-Unis risque de rester perpétuellement en campagne et
semble obnubilé par ses détracteurs dont une partie peut questionner
une collaboration avec un pays musulman démocrate mais en transition. Au
niveau de l’immigration par exemple, la politique américaine vis-à-vis
des immigrants de certains pays de notre région est en train de changer,
bien que la Tunisie ne soit pas affectée, au moins dans un premier
temps. Mais le risque est là et l’administration Trump pourrait
facilement mettre tout le monde dans le même sac.
La Tunisie devrait de ce fait considérer
l’appui d’un cabinet de « public relations » qui accroitrait la
visibilité de notre pays auprès de l’administration américaine et du
Congrès et viendrait compléter le travail que fournissent notre
ambassade et notre diaspora à Washington. Cet investissement ne
nécessiterait que très peu de ressources financières tant la proposition
de valeur de la Tunisie est positive, mais devient nécessaire dans un
pays ou le lobbying est utilisé par tous et ou la nouvelle
administration pourrait être moins a l’écoute de la cause tunisienne que
la précédente.
Notre pays a recouru aux Etats-Unis,
trois fois dans les 6 dernières années pour des appuis budgétaires sous
forme de loan guarantees de 500 millions de dollars chacun ; ceux-ci ont
permis à la Tunisie de lever des fonds sur les marché internationaux en
bénéficiant de la garantie des Etats Unis. Pourra-t-on à nouveau
compter sur ce support ? Seulement en mettant en avant les forces de la
Tunisie auxquelles la nouvelle administration sera sensible, et qui
rejoignent ses priorités : lutte contre le terrorisme, Return on
Investment et coopération win-win dans laquelle la Tunisie contribuerait
également d’une façon ou d’une autre a l’essor de l’économie
américaine. Un exemple notable est celui de ce jeune entrepreneur
tunisien, en négociation avec un grand groupe américain qui devrait
intégrer son application dans leur suite de logiciels, contribuant ainsi
à créer de la valeur aux Etats-Unis, tout en créant de l’emploi et de
l’espoir en Tunisie.
A nous de saisir les rencontres
bilatérales à venir, la négociation TIFA (Mars 2017), le dialogue
stratégique et la Joint Economic Commission (deuxième partie de 2017)
pour prendre le lead sur la coopération économique et les moyens de la
renforcer et saisir cette opportunité historique d’une administration
non conventionnelle, pour faire en sorte que la nouvelle Tunisie
démocratique reste une priorité pour les Etats-Unis et le monde.
Par Mohamed Malouche